L’anonymat pour protéger la dignité d’une travailleuse
6 juin 2025
Droit du travail
Le tribunal administratif du travail (TAT) a décidé d’anonymiser une décision pour protéger la dignité d’une femme victime d’une lésion professionnelle.
Dans l’affaire L.T. et Ministère A, 2025 QCTAT 769, une travailleuse a été victime d’une chute à l’entrée de l’établissement de son employeur, un ministère fédéral. Divers diagnostics sont reconnus en lien avec cet événement, dont un diagnostic de fibromyalgie qui est accepté en tant que lésion professionnelle.
Dans le cadre d’une instance visant à contester certaines décisions de la CNESST quant à la capacité de la travailleuse à reprendre son emploi et quant à une réclamation pour récidive, rechute et aggravation, la travailleuse demande au TAT que sa décision soit anonymisée, afin de préserver son identité. Elle allègue que les informations concernant son état de santé mental et physique doivent être protégées.
Pour trancher cette question, le TAT analyse d’abord les principes énoncés par la Cour suprême du Canada en 2021 dans l’arrêt Sherman[1]. Dans cette affaire, la Cour rappelle que l’intérêt d’une personne à protéger un aspect fondamental de sa vie privée peut justifier une exception au principe de la publicité des débats. Pour déterminer si une décision doit être anonymisée, les tribunaux doivent conclure que le fait de nommer la personne visée « entraînerait une atteinte à sa dignité que la société dans son ensemble a intérêt à protéger[2] ». Ainsi :
«La dignité est minée lorsque les personnes perdent le contrôle sur la possibilité de fournir des renseignements sur elles mêmes qui touchent leur identité fondamentale, car un aspect très sensible de qui elles sont qu’elles n’ont pas décidé consciemment de communiquer est désormais accessible à autrui et risque de façonner la manière dont elles sont perçues en public».
Pour en arriver à une telle conclusion, trois critères doivent être satisfaits. Premièrement, il doit être démontré que la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important. Deuxièmement, l’ordonnance du tribunal doit être nécessaire pour écarter ce risque. Troisièmement, il doit être démontré que les avantages de l’ordonnance surpassent les inconvénients.
Des effets délétères sur la santé de la travailleuse
Dans l’affaire L.T. et Ministère A, le TAT applique donc le test en trois étapes de l’arrêt Sherman pour trancher la question.
Le TAT note que, pour expliquer son raisonnement, il devait partager des informations médicales sur la santé mentale et physique de la travailleuse. Ainsi, « La preuve démontre qu’un refus d’anonymiser la décision aurait certainement des effets délétères sur la santé de la travailleuse lui causant une détresse psychologique certaine, sans compter les potentiels effets néfastes sur son employabilité future[3] ».
Les conséquences potentielles pour la dame justifiaient donc l’anonymisation de la décision.
Conclusion
Le seul caractère personnel d’une information ne justifie pas l’anonymat d’une décision. Toutefois, lorsque les conséquences de la diffusion de l’information sont susceptibles de porter atteinte à la dignité du travailleur, un tribunal peut ordonner que la décision soit anonymisée.
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[1] Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [2021] 2 RCS 75.
[2] Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [2021] 2 RCS 75, para 33.
[3] 2025 QCTAT 769, para 54.