Contre-expertise : l’employeur qui manque de diligence peut être imputable des pertes salariales de l’employé


3 juillet 2025

Droit du travail

Rédigés par

Me Anne-Sophie Ouellet

M. Frédéric Marcoux, stagiaire en droit

Un tribunal d’arbitrage a conclu qu’un employeur qui manque de diligence dans la démarche administrative visant à obtenir une contre-expertise en cas d’invalidité est imputable des délais qu’il contrôle. L’employeur devient donc responsable des pertes salariales de l’employé pendant la période prolongée indûment.

Dans Syndicat des travailleuses et des travailleurs du CISSS de Laval - CSN et Santé Québec — Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (Maria Sicurella) , le tribunal a donné raison au syndicat, qui reprochait à l’employeur d’avoir tardé pendant plusieurs semaines à réintégrer la salariée dans son emploi, alors que le billet médical de son médecin confirmait qu’elle était apte au travail pour un retour progressif.

Dans cette affaire, la salariée a subi une entorse à la cheville au travail en 2018. Après un court retour au travail, la salariée a par la suite connu une autre période d’invalidité, en raison cette fois d’un trouble d’adaptation avec humeur anxiodépressive invalidant. En 2022, alors qu’elle est toujours en invalidité, la salariée est victime d’une collision avec un vélo qui lui fracture la cheville gauche, entraînant de nouveau le report de son retour au travail.

Au début du mois d’août 2023, l’employeur reçoit de la salariée un billet médical rempli par son médecin spécialiste traitant qui confirmait qu’elle était apte à faire un retour progressif à compter du 11 septembre 2023. La preuve démontre qu’à cette date, seule la limitation liée à la fracture de la cheville est en cause. Or, l’employeur estimait qu’il avait le devoir de s’assurer que la salariée était apte au travail, après un peu plus de 30 mois d’absence

«L’employeur a certes le droit de demander une contre-expertise lorsqu’il reçoit un billet médical prévoyant le retour au travail progressif d’une personne salariée », a indiqué le tribunal. « Toutefois, il doit agir avec célérité pour éviter d’allonger indûment la période sans travail de cette dernière, d’autant plus lorsqu’elle est sans revenu au cours de cette période[2]».

Or, dans cette affaire, le processus administratif de l’employeur s’est avéré plus long qu’à la normale, en raison de l’absence de la personne désignée par l’employeur pour traiter les dossiers d’invalidité. Ainsi, ayant d’abord convoqué la salariée à une contre-expertise auprès d’un médecin généraliste en août 2023, l’employeur annule ce rendez-vous afin d’obtenir une expertise plus spécifique en orthopédie. Ce n’est que le 24 octobre 2023 que l’employeur a reçu le rapport de son expert, confirmant à la salariée que son retour progressif pourrait débuter à compter du 6 novembre 2023 jusqu’au 14 janvier 2024.

«Même si l’ensemble des personnes impliquées ont tenté d’agir de bonne foi, ces délais étaient sous le contrôle de l’employeur. Il n’est pas nécessaire de prouver la mauvaise foi pour constater qu’une mesure de l’employeur puisse être identifiée comme déraisonnable[3].».

Le tribunal a tenu l’employeur responsable de la situation, puisqu’il aurait pu contacter immédiatement l’expert orthopédiste pour une contre-expertise[4]. L’employeur se devait de faire preuve de célérité, surtout qu’il connaissait la situation économique de la salariée, qui n’était plus admissible à l’assurance-invalidité étant donné qu’elle était en invalidité depuis plus de 104 semaines et en raison de son âge.

Pour ces motifs, le tribunal ordonne à employeur de rembourser les pertes monétaires subies par la salariée entre le 11 septembre 2023 et le 14 janvier 2024, date de son retour au travail à temps complet, le tout avec les intérêts prévus au Code du Travail.

Conclusion

Une fois qu’un billet médical établit que la restriction au travail est levée, l’obligation de rémunération s’impose. Il revient alors à l’employeur d’établir qu’il lui est légitime de ne pas répondre à son obligation de rémunérer la personne salariée.

Le cas échéant, l’employeur doit faire preuve de diligence lorsqu’il souhaite obtenir une contre-expertise pour évaluer un travailleur, sans quoi il pourrait être tenu responsable des pertes financières de l’employé, et ce, même si le délai est causé par des enjeux organisationnels ou des considérations administratives Dans cette affaire, le délai de 3 mois entre la réception du billet médical et le retour au travail est jugé déraisonnable.

Pour toute question, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe de droit du travail.


[1] 2025 QCTA 245.

[2] Ibid, para. 3.

[3] Ibid, para. 22.

[4] Ibid, para. 28.

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