L’affaire Domtar : un employeur en droit de rectifier le tir et de s’adresser aux salariés en pleine négociation
23 avril 2025
Droit du travail
Une plainte pour pratique interdite en matière d’embauche a été retenue contre un employeur qui exigeait qu’un employé connaisse le coréen et l’anglais pour être engagé.
C’est ce qu’a conclu le juge Sylvain Provencher de la Cour supérieure dans l’affaire Syndicat des travailleurs des pâtes et papiers de Windsor inc. (CSN) c. Domtar inc., usine de Windsor, 2025 QCCS 690, rejetant le pourvoi en contrôle judiciaire intenté par le Syndicat.
Les faits de ce dossier se sont produits en mars 2020, alors que Québec venait d’instaurer les premières mesures d’urgence sanitaires, en raison de la pandémie de COVID-19.
La convention collective des parties était échue depuis le 30 avril 2019. Alors que l’employeur est sur le point de transmettre une offre finale au syndicat, ce dernier transmet à ses membres un communiqué «Info NÉGO» indiquant qu’« aucune entente n’est intervenue entre les parties », puisque « l’employeur n’a pas progressé dans sa position sur certains enjeux rendant impossible l’atteinte d’un règlement ». Il a précisé qu’il n’y aurait pas d’assemblée pour en discuter, en raison du confinement imposé par Québec.
« Inexact et trompeur »
L’employeur a réagi, estimant «inexacts» et «trompeurs» les propos du Syndicat. Domtar a d’abord informé le Syndicat de son intention de s’adresser aux syndiqués, le 31 mars 2020. Puis, la même journée, le directeur général de l’entreprise a transmis aux employés une note de service intitulée « Mise à jour sur la négociation de la convention collection à l’usine ». Le directeur général a rappelé les propos du Syndicat, avant de présenter 18 de ses 76 propositions soumise en vue de conclure une convention collective.
Estimant que l’employeur avait entravé ses activités, le syndicat saisit le Tribunal administratif du travail (TAT)[1]. Le TAT considère qu’il n’existe pas de présomption voulant que la diffusion des offres par l’employeur constitue de l’entrave ou de l’ingérence au sens de l’article 12 du Code du travail.
Le TAT a par ailleurs déterminé que la preuve démontrait que la cohésion syndicale n’était pas affectée, s’appuyant notamment sur les réactions des salariés sur Facebook qui témoignaient de l’intérêt des membres à être informés de la position patronale
En considérant le principe de la liberté d’expression, le TAT a estimé que l’employeur avait des motifs raisonnables pour intervenir. La partie patronale respectait tout de même le monopole de la représentation syndicale, malgré sa communication.
«[…] L’entrave se caractérise comme étant une conduite qui vise à déstabiliser et à affaiblir le syndicat, de même que ses dirigeants ou représentants, ainsi qu’à discréditer ces derniers auprès de ses membres et du public en général », a noté le TAT.
«Le TAT est plutôt d’avis qu’il était tout à fait légitime pour l’Employeur d’intervenir afin de corriger les informations incomplètes dans l’Info NÉGO du Syndicat – qu’il considère dans les faits comme étant fausses », a-t-il ajouté.
Après avoir demandé la révision administrative interne de la décision[2], le syndicat a intenté un pourvoi en contrôle judiciaire. La Cour supérieure conclut que la décision du TAT était raisonnable, dans ce contexte.
«Le Tribunal rappelle, entre autres, que selon la Décision TAT1, l’Employeur était justifié d’intervenir pour « corriger le tir », sa mise au point était un bilan strictement conforme de l’état de la négociation, et que le Syndicat n’était alors aucunement dans une position vulnérable de négociation », a conclu le magistrat.
Conclusion
Bien que les employeurs devraient toujours agir avec prudence avant de s’adresser à leurs salariés en période de négociation, la présente affaire confirme qu’une telle communication peut s’avérer justifiée lorsqu’elle vise à rectifier des propos erronés et qu’elle ne sape pas le monopole de représentation syndicale.
Pour toute question, n’hésitez pas à communiquer avec notre équipe de droit du travail.
[1] 2020 QCTAT 3043 (TAT1).
[2] 2021 QCTAT 1393.